J’ai
été
élève du Lycée de Thionville de 1926
à
1935. Lorsque je suis arrivé au camp de Monowitz (Auschwitz
III), j’ai eu l’incroyable surprise d’y
retrouver le docteur Jules
Hofstein, qui était affecté à
l’infirmerie du
camp, où il était chargé de soigner
les
déportés atteints de la galle. Je
“logeais” au bloc
n°24 qui portait le nom de
“Krätzeblock”, Krätze
étant le nom allemand de la galle. Le Dr Hofstein venait
tous
les jours soigner les déportés
qui avaient la galle, c’est-à-dire qu’il
leur appliquait des
pansements avec une pommade appelée
“ichtiol”, à base de
teinture d’iode. Il avait terminé ses
études bien avant
moi au Lycée
de Thionville, et il m’avait connu lorsque
j’étais très
jeune. Je le voyais tous les soirs, en rentrant au camp,
après
le travail et on n’arrêtait pas de parler de
Thionville.
En mars 1945, un autre Thionvillois est
arrivé au camp. Un avocat, maître Oscar
Israël
surnommé “Bubby”. Lui aussi
m’avait connu tout jeune.
C’était un brillant avocat, et il
n’avait pas le moral, mais
dès qu’il a su que le Dr Hofstein était
là
également, il a commencé à
espérer,
en se disant que tous les trois, on allait faire équipe et
se
soutenir par tous les moyens. Mais le plus étonnant est
arrivé au camp de Dachau, le lendemain de la
libération,
c’est à dire le
30 avril 1945. Je devais passer à la
désinfection
et
à l’épouillage, comme tous ceux qui
étaient encore
valides. Je me trouvais donc les pieds dans une espèce de
grand
bassin
rempli de désinfectant et je sentais qu’on me
frottait
vigoureusement
le dos avec une brosse. Je me retournai et j’ai cru
m’évanouir.
J’avais
devant moi Louis Veltz, qui était en classe avec moi au
Lycée
en 1935. Nous étions de grands amis et nous trouvions que
nous
étions très malheureux chez nos parents. Nous
avions donc
décidé de fuguer et nous sommes effectivement
partis un
dimanche matin pour Paris. Complètement fauchés
après trois jours, nous nous sommes rendus dans un
commissariat
de police, et on nous a rapatriés à Thionville
où
nos parents, affolés, nous ont accueillis avec
l’émotion
qu’on imagine. Cette fugue est relatée dans
“Carolus”, le
bulletin du Lycée de Thionville, animé par Jean
Briche,
grand rassembleur des anciens élèves du
Lycée de
Thionville, que je salue amicalement. Le Dr Jules Hofstein,
l’avocat
Oscar Israël et Louis Veltz ne sont plus là. Ils
ont
été de grands amis et je leur rends ici un
vibrant
hommage.
Mais il faut avouer que c’est
très rare,
quatre Thionvillois qui se connaissaient bien et qui se retrouvent dans
un camp
d’extermination et ont l’incroyable chance
d’échapper à
la
mort. Je suis le seul des quatre encore en vie, mais nous avons
été
tellement liés que je pense très souvent
à eux.
Serge Smulevic - Anglet,
le 19 novembre
2002
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