La mémoire de la Shoah, en France

Grandes phases

     Dans le programme de Terminale L et ES figurent les questions autour de la mémoire de la seconde Guerre mondiale. Des enseignants et des lycéens peuvent s'interroger sur l'évolution de cette mémoire.
     Voici quelques idées et quelques documents. La page n'est pas totalement rédigée, le plan suggère des pistes de réflexion.

I. Les débuts de l'ère des camps


1) Le choc de la découverte des camps

En 1945, la fin des combats coincide avec la Libération des derniers camps. Les images de l'horreur arivent vite. Leur interprétation va se faire dans le climat de la Libération et de l'exaltation de la Résistance, de la citoyenneté égalitire retrouvée.  Dans ce climat, il n'est pas de bon ton de particulariser la déportation des Juifs.

a) La libération des camps et la découverte de l'horreur

Franc-Tireur, 27 avril 1945Franc-Tireur, 27 avril 1945
Cette photo d'un dysentrique mourrant dans le camp de Buchenwald en avril 1945, devient rapidement un symbole de la déportation.
Carte postale éditée par des associations résistantes en 1952 (FNDIRP)
Carte postale éditée par des associations résistantes en 1952 (FNDIRP)
Regards, 1er juillet 1945Regards, 1er juillet 1945
Ce qu'on découvre en 1945, ce sont les camps, et particulièrement les camps où furent déportés les résistants français.
Les noms les plus cités sont ceux de Dachau, de Buchenwald et de Mauthausen.
Le temps d'Auschwitz n'est pas encore venu.
Les soldats américains libèrent le camp de Dachau le 29 avril 1945.
Les soldats américains libèrent le camp de Dachau le 29 avril 1945. Les premières photographies arrivent en France. Ce qu'on découvre, ce sont les victimes du typhus dans les camps de concentration et non l'extermination. Certains des camps d'extermiantion ont d'ailleurs disparu : Treblinka a été rasé, Sobibor détruit après la révolte du camp à la fin de 1943.

b) Premiers récits et premiers témoignages des survivants

L'Avant-Garde, 2 mars 1945L'Avant-Garde, 2 mars 1945
Ce récit d'un survivant ne prononce pas le mot "juif". Maïdanek est pourtant un camp d'extermination.. On estime aujourd'hui le nombre de victimes entre 200.000 et 250.000. Parmi elles, 4.000 juifs déportés de France.
Le chiffre de 21.000 placé en titre accrédite l'idée d'exactions terribles, mais ponctuelles et ne prend pas la juste mesure du procesus d'extermination.

2) Les sources d'une confusion

a) La Résistance et la déportation

C'est la Résistance qui va gérer le retour des déportés. Le restaurant l'hôtel Lutetia a servi pendant la guerre de bureaux aux services de renseignements allemands. Il va servir de lieu d'accueil des déportés.
La façade de l'Hôtel Lutetia.
La façade de l'Hôtel Lutetia.
Il n'est d'ailleurs rien de prévu de particulier pour les déportés Juifs et Tsiganes qui rentrent. En si petit nombre, il est vrai : 2% des déportés Juifs de France ont survécu aux camps. Les Tsiganes, quant à eux, s'évanouissent dans la nature. Leur déportation ne sera évoquée qu'épisodiquement.
Carte de déportée de Madame Katz
Carte de déportée de Madame Katz
Déportée en 1944 parce que juive, libérée en avril 1945, Madame Rachel Katz de Soissons se voit attribuer une carte de déportée en 1954. Pourtant, à cette date, il n'existe toujours que des cartes de "déporté politique" ce que Madame Katz n'est pas. On ajoute donc, à la main, le mot "raciale". La République ne reconnaît donc que du bout des lèvres l'existence d'une déportation des Juifs.

b) Le désir de réintégration des "Israélites" dans la communauté nationale

Deux "Nuit et Brouillard" peuvent aider à comprendre cet état d'esprit. "Nuit et Brouillard" est une expression qui désignait les déportés politiques qui, classes "Nacht und Nebel" (N.N.) devaiernt disparaître "dans le brouillard et dans la nuit". C'est ausi le titre d'un film d'Alain Resnais et d'une chanson de Jean Ferrat.
Dès l'abord, le choix de ce titre manifeste, pour les deux auteurs, le choix de parler d'abord de la déportation des Résistants.
Nuit et Brouilard

Nuit et Brouillard, le film d'Alain Resnais

Dans Nuit et Brouillard, Alain Resnais utilise le croisement entre les images en couleurs tournées en 1955 et les images d'archives en noir et blanc ; le commentaire sobre écrit par Jean Cayrol, ancien déporté politique, et lu par Michel Bouquet, plonge le spectateur dans l'horreur des camps de concentration. Réalisé dix ans après la fin de la guerre, Nuit et Brouillard reste tributaire de la perception que l'on pouvait avoir du phénomène dans les années 50.
La particularité du film, outre une image censurée où l'on voyait un gendarme français gardant un camp, c'est l'absence presque complète de la spécificité juive de l'extermination. Le mot "Juif" n'est prononcé qu'une seule fois : dans une longue énumération des victimes où l'on retrouve "Annette lycéenne de Bordeaux"..., le commentaire évoque "Stern, étudiant juif d'Amsterdam". Ce sera tout.
Nuit et Brouillard est donc un film qui montre bien  l'horreur des camps de concentration mais évacue le caractère juif du génocide.


Nuit et Brouillard
est aussi le titre d'une chanson de Jean Ferrat en 1963 :

 Nuit et Brouillard

Paroles et musique Jean Ferrat, 1963

1. Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers
Nus et maigres tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent.
Ils se croyaient des hommes, n'étaient plus que des nombres
Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés
Dès que la main retombe il ne reste qu'une ombre
Ils ne devaient jamais plus revoir un été.

2. La fuite monotone et sans hâte du temps
Survivre encore un jour, une heure obstinément
Combien de tours de roues, d'arrêts et de départs
Qui n'en finissent pas de distiller l'espoir
Ils s'appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel
Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vichnou
D'autres ne priaient pas mais qu'importe le ciel
Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux.



3. Ils n'arrivaient pas tous à la fin du voyage
Ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux ?
Ils essaient d'oublier, étonnés qu'à leur âge
Les veines de leurs bras soient devenues si bleues
Les Allemands guettaient du haut des miradors
La lune se taisait comme vous vous taisiez
En regardant au loin, en regardant dehors
Votre chair était tendre à leurs chiens policiers.

4. On me dit à présent, que ces mots n'ont plus cours
Qu'il vaut mieux ne chanter que des chansons d'amour
Que le sang sèche vite en entrant dans l'histoire
Et qu'il ne sert à rien de prendre une guitare
Mais qui donc est de taille à pouvoir m'arrêter
L'ombre s'est faite humaine aujourd'hui c'est l'été
Je twisterais les mots s'il fallait les twister (1)
Pour qu'un jour les enfants sachent qui vous étiez.

Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers
Nus et maigres tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiriez la nuit de vos ongles battants
Vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent.


Note : (1) twist, danse populaire des années 60

Commentaire

     C'est une chanson courageuse que celle de Jean Ferrat. En pleine période de naissance du rock yé-yé (allusion au "twist" à la fin du texte), faire une chanson sur la déportation n'avait rien d'évident. La maison de disque était d'ailleurs réticente, raconte le chanteur.
     Jean Ferrat, dont le nom véritable est Tenenbaum, est personnellement impliqué dans la question de la déportation : le père de Jean Ferrat, un joaillier juif de Versailles, a été déporté et est mort à Auschwitz. A l'âge de 12 ans, en 1942, Jean Tenenbaum a porté l'étoile jaune.
     Pourtant, la volonté de l'auteur est de fondre les différentes catégories de déportés : peu importe en effet la religion, peu importe qu'il s'agisse de Jean-Pierre (prénom français), de Natacha (prénom russe) ou de Samuel (prénom juif), la caractéristique commune de tous les déportés est la volonté de résistance : "Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux".
     La question des chambres à gaz ne sera pas posée : ces déportés vont vivre dans un camp certes atroce gardé par des Allemands "du haut des miradors", avec leurs "chiens policiers". Des camps dont on peut revenir. L'expression "Ils n'arrivaient pas tous à la fin du voyage"
est un euphémisme.
     En faisant de l'évocation des "wagons plombés" le coeur du refrain, Jean Ferrat montre bien qu'il se situe dans une démarche de description de la déportation et pas des camps d'extermination.
     Pour nous, aujourd'hui, ces wagons plombés évoquent plutôt l'entassement des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards promis à la chambre à gaz. Ce n'est pas le sens du texte de Ferrat.
     Il y a une dimension politique à ce choix : Jean Ferrat est depuis l'après-guerre un "compagnon de route" du Parti Communiste Français. Le sens de la déportation est pour lui inscrit dans la Résistance, en particulier celle du "parti des 100.000 fusilllés".



3) Les premières définitions juridiques et leur utilisation

a) La définition du "crime contre l'humanité" et du "génocide" par les instances internationales

Voir la page sur le procès de Nuremberg et surtout ses préparatifs.

b) Faiblesses de l'incrimination de génocide dans les procès de l'épuration

Les grands procès des responsables français de la collaboration se dértoulent alors qu'on ne sait pas encore grand chose des camps d'extermination. Le procès Pétain se déroule avant celui de Nuremberg.
Aussi, le reproche de complicté dans l'extermination, su présent aujourd'hui dans les griefs qui sont faits à Vichy, n'apparaît pratiquement pas dans les procès Pétain et laval.

II. Le tournant de la fin des années 1960 et du début des années 1970

Après le départ puis la mort du général de GAULLE en 1969, l'arrivée à l'Élysée de Georges POMPIDOU qui n'avait pas participé à la résistance, entraîna l'abandon de la tradition résistancialiste et la fin des mythes héroïques et patriotiques d'une résistance de masse.

   Le film Le Chagrin et la Pitié a lui aussi, malgré la censure dont il a fait l'objet, contribué à dépasser le résistancialisme.
   Achevé en 1969, ce film germano-suisse réalisé par Marcel OPHULS en collaboration avec André HARRIS et Alain de SEDOUY, anciens journalistes à l'ORTF, est une chronique de la vie quotidienne à Clermont-Ferrand sous l'Occupation qui oppose à l'image d'une résistance de masse unanime, l'image d'une France majoritairement lâche et égoïste.
    Diffusé dès sa sortie en Allemagne, en Suisse et aux Etats-Unis, Le Chagrin et la Pitié n'a été projeté en France qu'à partir de 1971, dans une petite salle du Quartier latin, le Studio Saint-Séverin, et au Paramount-Elysées. En 1976, il a été admis dans le circuit commercial restreint des salles " Art et Essai " et n'a été programmé à la télévision sur FR3 qu'en 1981 ( 1 ).

    En novembre 1971, le président POMPIDOU qui n'avait pas participé à la Résistance, accorda sa grâce à l'ancien chef de la Milice de Lyon, Paul TOUVIER, grâce révélée seulement en juin 1972 par l'hebdomadaire L'Express.
    En fuite et recherché depuis la Libération, Paul Touvier avait été protégé, hébergé, caché dès cette époque par des ecclésiastiques. Condamné deux fois à mort par contumace au lendemain de la guerre par la Cour de Justice de Lyon et celle de Chambéry, il avait été arrêté en juillet 1947, mais était parvenu grâce à des complicités à s'évader.

   Robert Paxton En 1973, est paru aux Éditions du Seuil la traduction française du livre de l'historien américain Robert PAXTON sous le titre La France de Vichy 1940-1944 , qui constitue le premier ouvrage de référence sur l'histoire de Vichy ( 2 ).
    Robert Paxton s'appuie sur des archives allemandes saisies à la fin de la guerre par les autorités américaines et prend en compte les travaux de l'historien allemand Eberhard JACKEL sur la politique hitlérienne à l'égard de la France vaincue, publiés en 1966 en Allemagne et traduits chez Fayard en 1968 sous le titre La France dans l'Europe de Hitler 3 ).
    Paxton montre que le régime de Vichy n'a cessé de rechercher la collaboration d'État avec l'Allemagne hitlérienne, collaboration dont Hitler se défiait, sans pratiquer le moindre double jeu et sans faciliter la tâche des Alliés.
    Il explique que la collaboration et la Révolution nationale sont les deux volets inséparables d'une même politique qui s'inscrit dans la logique de l'acceptation de l'armistice de juin 1940.
    Mais il va plus loin et souligne aussi la spécificité de Vichy et les responsabilités propres de ce régime, sans pour autant le considérer comme une parenthèse dans notre histoire nationale, mais au contraire en mettant le doigt sur tout ce qui constitue à ses yeux une continuité.
    Enfin, comparant la France des années d'occupation aux autres pays occupés d'Europe occidentale, il dresse un bilan globalement négatif du régime de Vichy.

1) La recherche des criminels nazis et les procès des années 1960-1970

2) Les mises en cause de la résistance

a) Les Français n'étaient donc pas tous résistants ?

b) La mort de de Gaulle

c) Pompidou et l'affaire Touvier : oublier le passé ?

3) La Guerre des Six-Jours : les Juifs menacés

a) La Guerre des Six-Jours telle qu'elle fut ressentie en France

b) L'affirmation du caractère juif du génocide

Dans les années 1970, se produit donc une sorte de retournement. La déportation qui était perçue comme essentiellement résistante devient principalement juive. Le camp symbolique cesse d'être Buchenwald ou Dachau : c'est Auschwitz qui entre en scène.

4) Un éclaircissement progressif du vocabulaire

a) Camps de concentration / camps d'extermination

b) L'apport des historiens américains (Paxton...)

III. Holocauste ou Shoah ?

1) La déportation résistante estompée

a) Dachau contre Auschwitz

b) Le STO : une déportation ?

c) Les responsabilités de l'Etat français assumées

2) Lanzmann et "Shoah"

a) Le film et le mot

Le film

Voir la page sur le mot Shoah, dans ce site

b) Les débats : unicité, sacralisation, historicisation, comparatismes

c) Les débats qui viennent de l'étranger : intentionnalistes et fonctionnalistes...

Voir la page sur "Intentionalistes et fonctionnalistes"

3) Les négationnistes : les "assassins de la mémoire"


      Au début des années 1980, un professeur de littérature, Robert Faurisson, prenait publiquement la parole dans Le Monde pour contester avec « arguments à l’appui » l’existence des chambres à gaz durant la seconde guerre mondiale. Ces propos ont mis en lumière tout un courant, se prétendant historiographique, qui était pourtant sous-jacent depuis la fin de la guerre. Ces historiens se désignaient comme révisionnistes.
     L’originalité de ce livre repose sur le fait que Pierre Vidal-Naquet ne se place jamais sur le terrain de l’affectivité mais de la rigueur historique. En effet, il s’attache, tout d’abord, à identifier et décrire précisément l’objet de la négation, c’est-à-dire les chambres à gaz, puis analyse les diverses caractéristiques qui entrent dans les discours des négationnistes. Ainsi, en brillant historien, il fait preuve d’une démarche radicalement critique (impliquant une lecture minutieuse des textes négationnistes) qui réduit à néant les arguments de Robert Faurisson. Sa démonstration contribuera à délégitimer une « petite bande abjecte » qui prétendait incarner une école historique.

Pierre Vidal-Naquet, Les Assassins de la mémoire, Seuil/Points essais, 1995
Le livre de Vidal-Naquet

4) La récente célébration des "Justes parmi les nations"

Les "Justes" - les non-Juifs qui sauvèrent des Juifs - sont de plus en plus souvent évoqués dans les médias (en particulier depuis la fin des années 1990).
Il convient de :

5) Les tsiganes toujours oubliés ?

Mal insérés dans la ssociété française et souvent rejetés, les Tsiganes ne sont pas "un peuple du livre". Peu de témoignages de leur déportation et de leur extermination seront publiés. Il faudra attendre les années 1990 pour qu'on commence à parler - un peu, bien peu - des camps de regroupement en France.
Les tsiganes sont parfois mentionnés dans une expression comme "génocide des juifs et des tsiganes", sans que davantage d'explications soient données
.

Une dépêche de l'Agence France-Presse,  mercredi 02 août 2006

Les rescapés tziganes d'Auschwitz réclament un monument

Varsovie

Les rescapés tziganes du camp de la mort nazi d'Auschwitz-Birkenau (Sud de la Pologne) réclament la construction à Berlin d'un monument aux victimes du génocide des Roms et des Sinti, a déclaré mercredi Luise Baecker, l'une des survivantes.

S'exprimant à l'occasion d'une cérémonie du 62e anniversaire de la liquidation par les Allemands du «camp tzigane» à Birkenau, Mme Baecker a déploré que «le gouvernement de la République Fédérale d'Allemagne n'ait même pas commencé les travaux» pour ériger un tel monument.

«C'est un scandale que le gouvernement fédéral trouve toujours de nouveaux prétextes pour retarder la construction du monument. J'ai 75 ans et je voudrais participer personnellement à son inauguration à Berlin», a déclaré Mme Baecker citée par l'agence polonaise PAP.

Conclusion : un débat actuel sur le "devoir de mémoire"

Y a-t-il un "devoir de mémoire" qui s'impose aux jeunes générations et en quoi consiste-t-il ?
La question est controversée.

Voir la page "Y a-t-il un devoir de mémoire ?" dans ce site.

     
Sommaire
Autres documents
Rechercher dans le site
Page pour les élèves