Voici le témoignage de mon père, Jacques Natanson, sur la manière dont il fut sauvé par des religieux, bénédictins et dominicains.
Paris-Brive
En
juin 1940, j’avais
presque 17 ans et je devais passer le bac. Au lieu de cela, la session
du bac ayant été annulée, j'ai
quitté Paris
sur le conseil de mon père, pour
gagner Brive-la-Gaillarde
où habitait Madame
Chapelle,
femme du
maire
radical socialiste, cliente et amie de mon
père.
Je logeai chez elle jusqu’en octobre 1941 et j’y passai mon bac, à l’école Bossuet. |
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Toulouse
Je partis ensuite pour Toulouse.
Le
père Carrié, un
dominicain qui avait été mon aumônier
scout,
m’introduisit au couvent des dominicains de Toulouse,
où je fus
logé et étudiais à
l’Institut catholique.
Novembre 1942, les Allemands envahissent la zone sud. Je les vois encore débouler avec leurs chars dans les rues de Toulouse. A ce moment intervint le père Dupuy, prieur provincial des dominicains de la province de Toulouse. Il m’explique : Bien que chrétien, vu mon origine, étant donné ce qu’on sait du comportement des Allemands vis à vis des Juifs, je ne suis plus en sûreté dans la zone sud sous occupation allemande. Il m’apporte une fausse carte d’identité, au nom de Gilles Valleteau, sur laquelle je colle ma photo. C’est en fait une vraie-fausse carte. Il existait bien un Gilles Valleteau né quelque part en Auvergne, un peu plus vieux que moi. C’était un moine de l’abbaye bénédictine d’En-Calcat, dans le sud du massif central. Ce moine, ayant fait vœu de stabilité comme tous les bénédictins, ne quittait pas son couvent. J’ai pu bénéficier de son identité jusqu ‘à la libération. Il a donc contribué à ma sécurité ainsi que les responsables de l’Ordre bénédictin. Si on m’avait demandé mon identité et qu’on ait cherché à la vérifier, il existait bien un Gilles Valleteau. |
![]() L'Institut Catholique de Toulouse
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Saint-Maximin
Quelques jours après, le père Dupuy me fit
prendre avec
lui le train Toulouse-Marseille. A Marseille nous avons pris le car
pour Saint Maximin,
localité où se trouvait le couvent
d’études des dominicains de la province sud. Saint
Maximin se
trouvait dans la zone d’occupation italienne où il
n’y avait pas
de danger pour les juifs qui furent nombreux à s’y
réfugier. J’y fus accueilli par le
père de Bienassis,
père hôtelier du couvent. J’y
séjournais avec
d’autres « hôtes » aussi
longtemps que la zone fut
occupée par les Italiens.
Comme c’était un couvent
d’études supérieures pour
les futurs dominicains, je pus en profiter pour suivre les cours de
philosophie et de théologie. Ce que
j’étudiais ainsi
devait constituer pour moi un acquis important
lorsqu’après la
libération je revins à Paris pour
étudier la
philosophie à la Sorbonne. A Saint Maximin
l’enseignement
s’inspirait surtout de la philosophie de Saint Thomas
d’Aquin, mais
nous avions aussi des cours sur la philosophie moderne.
Nous ne l’avons appris que peu à peu, le
père de
Bienassis était, avec le maire communiste de Saint Maximin,
un
des chefs de la résistance dans cette région. Le
maire
fut arrêté et torturé et ne dut son
salut
qu’à l’arrivée des troupes
alliées en juillet 1944.
Une certaine ambiguïté régnait. Un autre
dominicain qui faisait office de curé de la paroisse
était plutôt collaborationniste et apostrophait en
chaire
pour les injurier les avions qui survolaient la ville.
|
![]() Le couvent de Saint-Maximin |
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La Sainte-Baume
Cette situation dura jusqu’en octobre 1943. Mais alors, les
alliés ayant débarqué en Italie, le
régime
fasciste de Mussolini s’effondra. Et du coup les
Allemands
occupèrent la zone italienne. Les jeunes gens furent
envoyés en Allemagne au service du travail obligatoire, y
compris les jeunes dominicains. Les supérieurs
jugèrent
alors que je n’étais plus en
sécurité à
Saint Maximin. Ils m’envoyèrent à une
cinquantaine de
kilomètres à la
Sainte
Baume, une résidence
à eux dans la montagne, habituellement consacrée
à
un pèlerinage en l’honneur de Sainte Marie
Madeleine. Cette
résidence, à l’orée
d’une forêt dans la
montagne, était habitée par deux religieux.
![]() Le
massif de la Sainte-Baume
Les dominicains pensaient qu’il n’y avait
guère de chance que
les Allemands viennent par là. Le cas
échéant
j’aurais pu me cacher dans le maquis voisin.
De fait on ne vit jamais un Allemand dans la montagne de la Sainte Baume jusqu’au débarquement des Alliés. Je passais là une année studieuse grâce à la bibliothèque de la résidence. C’est à la Libération que je pus regagner Paris. Il n’y avait plus comme famille que mon oncle Albert et ma tante Hilda. J’appris ce qui était arrivé à mon père, ma sœur, mon oncle Julien, ma tante Jeanne et mon cousin Erwin. Jacques
Natanson
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Dans
le massif de la Sainte-Baume
![]() L'hôtellerie de la Sainte-Baume |
Bibliographie :
En 2000, le père Joseph-Marie Perrin, qui faisait partie de l'équipe qui a sauvé Jacques Natanson, a reçu la médaille des Justes, à l'âge de 95 ans. Ami de la philosophe Simone Weil, fondateur de l'Institut séculier Caritas Christi, il a écrit de nombreux ouvrages de spiritualité.
Il est aveugle depuis l'âge de 11 ans, mais continue toutes ses études en braille avec ses camarades "voyants".
Il entre au noviciat des dominicains, à Saint-Maximin, en 1922, et il est ordonné prêtre, avec dispense de Pie XI, en 1929.
Affecté au couvent de Marseille, le Père Perrin exerce des ministères variés : auprès de moniales et des religieuses, d’étudiantes et de Jacistes. Il anime des cercles œcuméniques et judéo-chrétiens.
Dès l’armistice de 1940, il aide des Juifs traqués et des réfugiés. Simone Weil vient le voir en 1941, et c’est le début d’une grande amitié et d’un riche dialogue.
Nommé supérieur du couvent de Montpellier en 1942, le Père Perrin est arrêté par la Gestapo en 1943, à cause de son action en faveur des Juifs. Relâché puis menacé à nouveau, il doit se réfugier à Aix-en-Provence jusqu’à la fin de la guerre.
(Sources : Sens, revue de l'Amitié judéo-chrétienne de France, n°4, 2000
et partie historique du site de la commune de Saint-Maximin)
Le père
Joseph-Marie Perrin
Jacques Natanson entreprit, après la guerre, des études universitaires de philosophie. Il soutint sa thèse de doctorat sur "La mort de Dieu", dans les années 60, devint professeur de philosophie à l'Université de Rouen, puis de Sciences de l'Education à l'Université de Paris X - Nanterre.
Avec sa femme Madeleine, il a collaboré aujourd'hui à plusieurs revues et a publié régulièrement, en particulier sur l'articulation entre psychanalyse et éducation. Ils ont travaillé ensemble à un livre sur la transmission.
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