Qui sont ces Français qui ont caché des Juifs ?
Voici quelques-unes de ces trajectoires humaines
Un couple d'enseignants (Paris)
Jean Allard, professeur
de latin au lycée Louis-Le-Grand à Paris, voulut
sauver
deux jeunes Juifs polonais, Louise Fligelman, âgée
de
quatorze ans, et son frère Richard. Devenus orphelins en
1935,
les deux Fligelman étaient partis de Varsovie habiter chez
leur
oncle et leur tante en France ; ils fréquentaient
une école secondaire de Niort, la ville natale d'Allard.
Particulièrement
brillant en latin, Richard fut présenté au
concours
général
où il obtint le premier prix. Il le reçut des
mains de
son
examinateur : Jean Allard. Un peu plus tard, Richard fut
arrêté
et interné à Drancy avec toute sa famille.
L'oncle et la
tante
furent déportés vers l'Est ; Richard et sa
sœur furent
placés
rue Lamarck à Paris dans un centre pour enfants juifs
contrôlé
par la police française. Allard y rendit visite à
Richard
et
lui proposa de l'en faire sortir en cachette pour le faire passer en
zone
sud. Richard répondit qu'il n'acceptait qu'à
condition
que
sa sœur l'accompagne. Pendant qu'Allard faisait les
préparatifs
nécessaires,
Richard fut renvoyé à Drancy puis
déporté
à
Auschwitz - dont il ne revint pas. Allard et sa femme
décidèrent
alors de ne pas abandonner la sœur de Richard, Louise,
désormais
seule
au monde.. Ils lui donnèrent la carte d'identité
de
Louisette
Fournier, une jeune fille plus âgée ; puis, au
mépris
du grand danger qu'ils couraient eux-mêmes, la firent sortir
en
cachette
du centre Lamarck en mars 1943, avec l'assistance d'amis de la
Résistance.
Ils la conduisirent au couvent du
Sacré-Cœur-de-Marie dans le
XIIe
arrondissement à Paris. Ensuite, ils
s'adressèrent
à
Louise Fontaine, directrice de l'établissement secondaire
pour
jeunes
filles de Vincennes, lui demandant d'inscrire Louise Fligelman pour
l'année
scolaire commençant en octobre 1943, afin de lui permettre
de
poursuivre
ses études. Ce devait être le début
d'une profonde
et
durable amitié, car après la
Libération, la
directrice
accueillit Louise dans son foyer et devint pratiquement sa
mère
adoptive.
Louise, qui était arrivée au couvent avec pour
tout
bagage
les vêtements qu'elle portait, y resta environ six mois, les
Allard
assumant tous les frais de son entretien et de ses autres besoins.
Le 12 mars 1996, Yad
Vashem a décerné à Jean et Marguerite
Allard le
titre de Juste des Nations.(Dossier 7043a)
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![]() Jean Allard
![]() Marguerite Allard |
Une épicière (Carcassonne)Lorsque les Allemands occupèrent Paris, la famille Dreyfus - Madeleine, qui était veuve, et ses trois fils (nés en 1929,1933 et 1936) ainsi que sa tante - se sauvèrent à Carcassonne, dans le département de l'Aude, c'est-à-dire dans la zone non occupée. Madeleine Dreyfus se lia d'amitié avec Juliette Bazille, propriétaire d'une épicerie située à une centaine de mètres de l'appartement loué par les Dreyfus. Juliette ne savait pas très bien ce qu'était un Juif, n'en ayant jamais vu avant la guerre. Pour elle, ces réfugiés qui venaient faire leurs achats dans son magasin étaient des êtres humains comme les autres. Lorsque les Allemands entrèrent en zone sud en novembre 1942, Juliette devint membre d'un groupement local de la Résistance. Sa tâche était d'autant plus difficile que son mari, lui, collaborait avec l'occupant. Elle dut donc faire preuve de la plus grande prudence dans ses activités clandestines comme dans l'aide qu'elle apportait à des gens comme les Dreyfus. Elle trouvait des élèves à Madeleine, qui gagnait ainsi de quoi faire vivre sa famille, en donnant des leçons particulières en diverses matières. Juliette Bazille lui fit connaître des enfants dont les parents pouvaient payer en nourriture car ils avaient les moyens et les contacts nécessaires. Elle invitait aussi la jeune femme et ses enfants chez elle; les garçons jouaient avec ses fils et Madeleine avait à qui parler... Au début de l'année 1943, Juliette apprit, par ses contacts dans la résistance, que les Allemands s'apprêtaient à arrêter et déporter les Dreyfus vers l'est. Elle se hâta de leur procurer de faux papiers et les cacha lorsque les gendarmes vinrent les arrêter.Les Dreyfus purent ensuite partir pour Vacquiers, village situé à une centaine de kilomètres de Carcassonne, et furent ainsi sauvés. Ce n'est qu'après la Libération qu'ils rencontrèrent à nouveau la femme courageuse à qui ils devaient la vie. Les Dreyfus rentrèrent à Paris mais restèrent en contact avec Juliette Bazille jusqu'à sa mort. Le 23 mars 1995, Yad Vashem a décerné à Juliette Bazille le titre de Juste des Nations. (Dossier 6506) |
![]() Juliette Bazille
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Un officier de gendarmerie (Riom)Maurice Berger, officier de gendarmerie à Riom dans le Puy-de-Dôme, faisait partie de l'Organisation de résistance de l'armée (ORA). Il ne ménageait pas ses efforts pour sauver les Juifs. La famille Herz avait fui l'Allemagne en 1934 pour chercher refuge en France avec leur fils Herbert, qui n'était alors qu'un enfant. Ils s'installèrent d'abord à Dijon, puis, après la défaite en 1940, ils passèrent en zone sud non occupée et furent assignés à résidence à Châteauneuf-les-Bains. Herbert était pensionnaire à Riom.Après avoir passé son baccalauréat, il rentra chez ses parents en juillet 1942. Dans la soirée du 26 août, la police française se présenta au domicile de nombreux Juifs de Châteauneuf et en arrêta plusieurs ; les Herz furent épargnés. Ce jour-là, Herbert s'était rendu à bicyclette à Riom pour renouveler sa carte d'identité. Sur le chemin du retour, il fut interpellé par la police et conduit au commissariat de Riom. Il était légèrement vêtu, et on lui permit de téléphoner à ses parents pour demander une valise de vêtements. Le commissariat ne disposant pas de cellules pour garder les prisonniers la nuit, le jeune homme fut conduit, à pied et poussant sa bicyclette, jusqu'au poste situé dans le centre ville. Passant devant une boulangerie, Herbert demanda la permission de s'acheter du pain. Le boulanger le reconnut, comprit la situation et lui vendit du pain sans lui demander de tickets d'alimentation. Peu après l'arrivée du jeune prisonnier au poste de police, le commandant le fit venir et lui déclara: «Jeune homme, je vais vous libérer. Vous allez complètement oublier où vous avez passé la soirée. N'en parlez à personne. Partez, et que je ne vous revoie plus. » Herz sauta sur sa bicyclette et rentra chez lui. Le commandant était Maurice Berger; il venait de recevoir un coup de fil du directeur de l'école du jeune Juif, qui avait appris par le boulanger que son élève avait été arrêté. En décembre de la même année, Berger sauva également - au mépris des ordres de ses supérieurs - la vie de huit membres de la famille du tailleur Wasjbrot qui s'étaient enfuis de Paris et avaient trouvé refuge dans la petite localité de Davayat, dans le Puy-de-Dôme. Il les fit prévenir par sa secrétaire qu'une rafle de tous les Juifs du village devait avoir lieu le lendemain matin. Les Allemands découvrirent le nom de Berger et de dix-huit de ses camarades sur des listes de membres de la Résistance trouvés lors d'un raid sur un quartier général clandestin de l'organisation. Arrêté, Berger fut déporté à l'est. Brisé par les tortures physiques et morales subies dans des camps de Tchécoslovaquie et de Pologne, il mourut du typhus le 27 avril 1945 au camp de Flossenburg, vingt-quatre heures seulement avant la libération de son camp par les Alliés. Le 12 mars 1996,YadVashem a décerné à Maurice Berger le titre de Juste des Nations. (Dossier 7042) |
![]() Maurice Berger |
Un Jésuite, fondateur de "Témoignage Chrétien" (Lyon)Pierre Chaillet, père jésuite de Lyon, fit de grands efforts pour persuader les catholiques qu'il fallait porter assistance aux détenus des camps du sud de la France. Commentant l'inaction del'Église catholique, il déclara : « On constate douloureusement que l'œuvre d'assistance dans les nombreux "camps d'internement" et auprès des réfugiés est pour ainsi dire totalement accomplie par les grands comités protestants et Israélites.» En 1941, il lança un journal clandestin nommé Les Cahiers du Témoignage chrétien. Le premier numéro, avec un grand titre « France, prends garde de ne pas perdre ton âme », fut tiré à cinq mille exemplaires. En 1942, quatre nouveaux numéros sortirent, chacun comptant vingt pages, et le premier numéro fut réimprimé à trente mille exemplaires. Ces Cahiers étaient le seul journal chrétien clandestin en France à rejeter expressément l'antisémitisme et à répliquer à la propagande antisémite des autorités. Cet effort entrepris par le père Chaillet prit de l'ampleur à travers toute la France et se poursuivit jusqu'à la Libération. Avec le pasteur protestant Roland de Pury et d'autres, le jésuite contribua à la création de l'organisation Amitié chrétienne qui avait pour but de sauver les Juifs. Il fournit également aux réfugiés juifs de faux papiers et en aida à passe clandestinement en Suisse. À la fin du mois d'août 1942, il participa au sauvetage de cent huit enfants juifs arrachés par des membres de l'Amitié chrétienne et des organisations juives au camp de transit de Vénissieux près de Lyon. Sommé par le ministère de l'Intérieur de Vichy de révéler au cardinal Gerlier le lieu où se cachaient les enfants, il refusa. Il fut alors assigné pour deux mois en résidence surveillée dans un hôpital psychiatrique de Privas, à 150 km de Lyon. En février 1943, la Gestapo fit une descente dans les bureaux de l'Amitié chrétienne et arrêta tous ceux qui s'y trouvaient, y compris le père Chaillet. Placé face au mur en attendant son interrogatoire, il profita de ce répit pour avaler les documents compromettants qu'il avait sur lui. Quand il eut terminé, il se mit à protester à haute voix contre l'erreur dont il se déclarait victime, lui, « pauvre curé de village réfugié du Nord ». Il fut relâché après avoir été battu sauvagement. Sans se laisser décourager, il continua à faire campagne dans son journal pour le sauvetage des Juifs. Le père Chaillet était l'un des dirigeants intellectuels de la communauté catholique française. Alors que le cardinal Suhard, archevêque de Paris, soutenait qu'agir illégalement pour sauver des Juifs constituait « une violation grave des préceptes de l'éthique personnelle et collective », le jésuite soutenait, lui, que « sauver une personne innocente ne constitue par un acte de rébellion mais plutôt l'obéissance aux lois non écrites du droit et de la justice ». Le 15 juillet 1981, Yad Vashem a décerné au père Pierre Chaillet le titre de Juste des Nations.(Dossier 1770) |
![]() Pierre Chaillet ![]() Le premier numéro du journal clandestin "Témoignage Chrétien" |
Un Américain au secours des artistes (Marseille)
Sans moyens ni soutien, un
américain de 33 ans, Varian Fry, sauve en 1940 et 41 dans le
midi de la France plus de 1.500 personnes, dont des artistes et
intellectuels menacés par les nazis comme Marc Chagall, Max
Ernst, André Breton, André Masson et Hannah
Arendt. Dans
le livre La liste noire, il raconte son
exceptionnelle
aventure. L'ouvrage a été publié, dans
l'indifférence générale, en 1945 aux
Etats-Unis
mais était inédit en France. |
![]() Varian Fry
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On notera dans cette page une sous-représentation des militants communistes et trotskistes. Pourtant, leur rôle fut important dans la résistance à l'occupant et, plus concrètement, dans la protection de famille juives. Il s'agissait souvent de militants juifs, nombreux au parti communiste et dans la résistance, nombreux aussi chez les trotskistes.
Pourquoi cette sous-représentation ?
D'abord, parce que les communistes et les trotskistes n'ont rien demandé. Leur activité de sauvetage des militants et de leurs familles allait de soi ; elle faisait partie des tâches ordinaires de l'activité résistante. Il ne convenait pas de singulariser les Juifs, des "communistes comme les autres".
D'autre part, les autorités israéliennes n'ont pas particulièrement tenu à valoriser les militants communistes et trotskistes, souvent hostiles à la politique sioniste. La notion de "Juste parmi les nations" a une origine religieuse. Il s'agit de remarquer, dans les autres religions, les individus qui se sont sentis solidaires des Juifs, malgré la différence religieuse. Il y a des syndicalistes et des communistes parmi les "Justes" de France ; cette appartenance est rarement indiquée par les rédacteurs des notices.
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