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On
n’improvise pas des textes sur
la déportation à partir de beaux sentiments. Cela
suppose, en
amont, un véritable travail, d’histoire et
d’écriture.
Evidemment, les sentiments ne peuvent
être
absents de l’enseignement de la Shoah ; enseigner
l’empathie avec les
victimes me semble un des moyens de prévenir les
génocides à venir. Mais
l’émotion ne doit pas tout
emporter, et finalement ne rien laisser derrière elle.
Ecrire,
c’est s’impliquer, mais c’est aussi
prendre une distance.
Au départ, le programme
d’histoire de
troisième, mais aussi un contact avec un an-cien
déporté d’Auschwitz-Monowitz : Serge
Smulevic, jeune
diplômé des Beaux Arts juste avant
la guerre (1), a
survécu grâce à
ses
dessins, des portraits échangés contre de la
nourriture.
En
1945, juste après sa libération, il dessine
à
nouveau,
pour témoigner cette fois. Ce sont ces dessins qui sont
publiés
ici (2) .
Les élèves de
toutes les classes de
troisième — une centaine — entament donc
un travail de
recherche, la réalisation d’un dossier
documentaire rigoureux
sur la déportation. Il s’agit
bien d’entrer dans les faits précis :
législation
antisémite, rafles, déportations à
partir de
Drancy, camps de concentration et camps d’extermination. Un
canevas est
proposé ; des re-cherches sont faites sur
l’Internet et dans les
livres. Le collège public,
qui porte le nom d’un enfant juif
déporté, possède
un
fond documentaire important dans son C.D.I.
Deux particularités feront
cependant de ce
travail d’histoire un moment particulier de
mémoire. D’abord,
les élèves vont choisir un dessin de Serge
Smulevic et
l’imprimer à partir de la salle informatique du
collège.
Ensuite, un contact par e-mail
va être possible. Serge Smulevic, infatigablement, va
accepter de
répondre à plus d’une centaine de
questions.
Ensuite, il a été
demandé aux
élèves d’écrire à
propos de ces dessins.
Les
profes-seurs de Lettres ont rappelé les
différents types
de
textes possibles dans ce cas : texte descrip-tif, texte narratif, texte
explicatif, récit autobiographique. (3)
Les premiers résultats sont
très
encourageants : la recherche a été fructueuse
d’un point
de vue historique, les textes produits réservent de vraies
surprises. Bien sûr, il y a aussi des maladresses et il faut
retravailler. Pour beaucoup d’élèves,
cela se fait dans
l’enthousiasme : travaux individuels de
réécriture,
travaux de groupe dans d’autres classes ; quelques
élèves
volontaires sont venus un mercredi matin au collège pour
retravailler
leurs textes.
Entre temps, un contact a
été pris
avec une troupe de théâtre, la «
Compagnie No-made
». Dans le cadre d’une animation de la Ville de
Soissons,
organisée
par la Bibliothèque Municipale, la troupe va
présenter
une
lecture d’une pièce adaptée de
l’œuvre de
l’écrivain
allemand Hans Peter Richter, « Mon ami
Frédéric
».
Il est décidé d’associer nos jeunes
« auteurs
»
et de préparer une lecture publique de ces textes. Serge
Smulevic
déléguera sa fille pour le représenter
ce
jour-là.
La mémoire, ça se
construit. On abuse
trop souvent de l’idée d’un «
devoir de mémoire
» qui s’imposerait aux jeunes
générations. Nous
croyons davantage que l’humanité se construit, que
la
mémoire s’apprend, dans
l’échange et la
coopération. Puisse ce travail avoir aidé chacun
des
élèves concernés à
bâtir, pour
lui-même, cette « jeune mémoire
».
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Notes :
(1) Pour une biographie
complète, voir sur
le site « Mémoire juive et Education »,
à
l’adresse serge_bio.htm
(2) La totalité des
dessins à
l’adresse serge.htm
(3)
L’expérience pédagogique a
été menée ailleurs, sous des formes
différentes. Ainsi, à Hawaï, au
printemps 2001,
où, dans le cadre d’un « Holocaust
Poetry Project »,
des élèves ont produit des
vidéos où
chacun commente une photo des camps.
C'est à l'adresse
http://gamma.mhpcc.edu/hcc/seaburyhall/holocaust/
(4) Dominique Natanson est
l’un des enseignants
de l’équipe qui a animé ce projet, au
Collège
Maurice
Wajsfelner. Il est l’auteur de J’enseigne avec
l’Internet la Shoah et
les
crimes nazis, paru au CRDP de Bretagne en 2002. Il anime le site
«
Mémoire juive et Education ».
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