Pour répondre aux demandes sur l'art et les camps, voici quelques oeuvres réalisées à propos des camps, souvent par des témoins directs.
Des oeuvres d'avant la guerre montrent que les artistes sont déjà très inquiets sur le respect de l'homme. Ainsi, ce tableau de Karl Hofer qui date de 1933, année des premiers camps en Allemagne :
Felix Nussbaum est né en 1904 à Osnabrück et mourut en 1944 à Auschwitz. Il participa à l'exposition des artistes libres de novembre 1938, à Paris, en y exposant des aquarelles. Réfugié en Belgique (d'où le mot juif en deux langues sur son passeport), il fut arrêté le 10 mai 1940 par le police belge et interné au camp de Saint-Cyprien. Pendant son séjour en camp, il ne dessine que des ébauches, mais après s'être évadé, il retourne à Bruxelles où il peint. A la fin de la guerre, il fut arrêté par la Gestapo à Bruxelles, le 20 juin 1944, transporté à Auschwitz et assassiné. Son épouse, l'artiste Felka Platek (?-1944), fut arrêtée en même temps que lui et subit le même sort.
Roman Kramsztyk, un artiste qui fréquenta le Café Sienna du Ghetto, où il rencontra Janus Korczak et le pianiste Wladyslaw Szpilman, fit beaucoup de croquis dans le ghetto, dont une bonne partie a été perdue, avant d'être déporté et de mourir en 1942. Il y croque la misère et la dignité des habitants du ghetto de Varsovie.
Theresienstadt (Terezin) fut un camp-ghetto, un "camp vitrine" visité par la Croix Rouge. Des personnalités juives y furent déportés. Les conditions de vie étaient difficiles, mais n'avaient rien à voir avec les camps. (Voir la page consacrée à Theresienstadt)
Avec Julius C. Turner, nous retrouvons une évocation qui tient du témoignage :
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Julius
Turner, Déportation,
1942
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C'est entre 1970 et 1975 que le peintre et graveur Zoran Music revient sur le camp de Dachau où il a séjourné de 1943 à 1945. Il grave et peint alors une série intitulée "Nous ne sommes pas les derniers" dont voici des exemples :
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avait crié un détenu, pendu avant la libération du camp d'Auschwitz "Nous ne sommes pas les derniers" lui répond Zoran Music en 1970. |
Interview de ZORAN MUSICExtraits des propos recueillis par Vanessa DELOUYALe texte complet se trouve sur le site des Etats-Généraux de la Psychanalyse : http://www.etatsgeneraux-psychanalyse.net/archives/texte50.html et http://www.psychanalyse.refer.org/call971/texte50.htmlZoran Music, témoin d'un événement insoutenable: - Dachau, que pouvez-vous en dire aujourd'hui, à 85 ans? L'énormité des camps et ce qui s'y déroulait n'est pas mesurable. L'insoutenable, je l'ai vécu, il m'est apparu bénéfique ultérieurement. Avec du recul, il me semble que cet accident date d'un siècle, tout comme d'hier. En fait, c'est le caractère omniprésent d'un événement qui finit par être positif, nous incitant à une réflexion active.Vous avez dit: « Ce ne sont pas les yeux qui travaillent mais ce qu'on porte en soi. Il faudrait pouvoir travailler les yeux fermés. » L'image rendue serait plus authentique sans le recours des yeux, la mémoire y suffirait. On s'encombre souvent de superflu, de détails.Pensez-vous que sans chercher à l'être, tout art est commémoratif ? Certainement. On ne raconte que soi-même et rien d'autre. L'art illustratif ne me touche pas à cause de sa superficialité.Transfigurer le désastre en lui donnant une dimension métaphysique, là est votre force. En êtes-vous conscient ? Cette dimension et cette force dont vous parlez, je les espère mais ne les contrôle pas. Trop de conscience conduit à un système. Je me méfie des formulations rhétoriques. Ma préoccupation première est d'éviter l'illustration. Ce qui importe, dans la création, c'est d'où elle revient, par quoi elle a été traversée.Comment échapper au thème récurrent qui nous obsède ? Pourquoi y échapper ! L'obsession peut présager un aspect positif, tel un trésor vers lequel on revient pour s'y plonger.En 1972, vous revenez à la thématique des chantiers des camps avec une série intitulée: « Nous ne sommes pas les derniers. » Qu'entendez-vous par ce titre ? Dans les camps de Dachau, entre nous, nous formulions une conviction : « Jamais plus une chose pareille ne se répétera. » Vingt cinq ans plus tard, aujourd'hui même, l'histoire et l'actualité démentent notre souhait. D'où le titre de cette série.Klimt, Schiele, Goya, Gréco, Bacon, Giacometti, vous ont touché. Qu'en est-il de Primo Lévi, Paul Celan, Georges Perec ? Si j'étais écrivain, je ne me serais pas attardé sur des illustrations mais sur des souffrances intérieures, invisibles. L'illustration sous toutes ses formes me gêne, elle est fatalement superficielle. Dans une toile, ce qui importe, c'est la lumière rendue ; dans un livre, ce que l'on retient, c'est l'émotion véhiculée par les personnages : la narration n'est que broderie. Paul Celan, par sa concision et sa pudeur m'est plus proche.Qu'est-ce qui est tapi derrière le tableau ? Ces interrogations concernent le regardant, pas le peintre. L'Artiste doit exprimer sa vérité, faire un avec elle. Il voudrait être dans la toile et la toile dans lui. Ne plus savoir où il commence, où elle finit. Le tableau n'est pas créé intentionnellement : l'artiste le porte sur tout un parcours et le transmet dans un second temps. |
Zoran Music
Zoran Music est né à Gorizia, en Dalmatie (alors Empire d'Autriche-Hongrie, aujourd'hui Croatie), en 1909 . Il a fait ses études à l'Ecole des Beaux-Arts de Zagreb, puis a voyagé en Italie, en Espagne, à Paris. Il effectue des copies des tableaux de Goya et du Greco, au Musée du Prado.
Accusé d'appartenir à la Résistance, il est arrêté à Venise en 1943 et déporté à Dachau, où il réalise, au risque de sa vie, une centaine de dessins décrivant ce qu'il voit : les scènes de pendaison, les fours crématoires, les cadavres empilés par dizaines, c'est-à-dire l'indescriptible.
Après des séjours à Venise et en Suisse, il s'installe à Paris en 1952. Il peint alors des toiles presque abstraites inspirées de paysages et de scènes de sa région natale, la Dakllmatie, dans une gamme de couleurs brunes, ocres et orangées.
Les souvenirs de déportation resurgissent avec la série Nous ne sommes pas les derniers (1970-1975). Il continue son oeuvre et il est exposé un peu partout en Europe au cours de la décennie 1990.
Voici un dessin d'un témoin, sur ce camp de femmes :
Dans leurs dessins, les enfants dessinent crûment ce qu'ils voient. A Theresienstadt, "camp modèle" où certaines familles pouvaient continuer d'être ensemble (dans l'attente de la déportation finale vers Auschwitz), la possibilité de dessiner existait :
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Dessin d'un jeune enfant, Josef Novak, interné à Theresienstadt |
Le
22 février 1942, Alfred Weisskopf,
âgé de 10 ans, fut déporté
de Prague vers
Theresienstadt.
Là, il fit ce dessin. Il fut plus tard, envoyé à Auschwitz où il fut assassiné en décembre 1944. |
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Les dessins de Leo Haas ont connu un destin exceptionnel : l'artiste les a dessinés puis cachés. Le bruit en est revenu aux oreilles des nazis qui torturèrent Haas et ses amis, avec lesquels il tenait une chronique secrète du camp. Personne ne parla. Leo Haas survécut à la déportation et revint à Theresin (Theresienstadt) en 1945, après la Libération. Il retrouva ses dessins, intacts, dans la cachette.
« Mes moyens étaient trop limités, et mon papier trop faible pour accepter tout ce que je voyais et tout ce que j'éprouvais.» Leo
Haas
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Leo Haas est né en 1901 à Troppau. Il fut dessinateur de presse à Vienne à partir de 1925. De 1939 à 1945, il fut interné successivement dans les camps de concentration de Theresienstadt, Auschwitz, Sachsenhausen et Mauthausen. Il dessine surtout à Theresienstadt: avec des lignes torturées, un expressionnisme grotesque, il capture la misère des hommes attendant la mort.
Après la guerre, il contribua comme caricaturiste à la presse communiste de Prague (Rudé Pravo), puis, à partir de 1955, de R.D.A. Il a ainsi produit des dessins contre la guerre américaine du Vietnam. Professeur en 1966. Il est mort à Berlin en 1983.
Walter Spitzer est né en Pologne, à Cieszyn, à la frontière de la Tchécoslovaquie. Enfermé dans un ghetto, puis déporté (Gross-Rosen, Auschwitz II - Monowitz, Buchenwald), il est sauvé par une décision de la résistance intérieure du camp. Il s'engage à témoigner par son talent de dessinateur, de ce qu'il a vu dans les camps.. Il participe aux marches de la mort, avant de découvrir l'Allemagne vaincue, en compagnie des soldats américains. Il s'installe à Paris après la guerre et produit une série de dessins sur les camps dès 1945. Il illustre ensuite les oeuvres de Malraux, Sartre, Montherlant, Kessel et Kazantzákis. C'est aussi l'auteur du monument du Vél' d'hiv", place de Grenelle.
Il a publié Sauvé par le dessin, Buchenwald, préface d'Elie Wiesel, Editions Favre, 2004.
![]() Le commando sur la place d'appel avant le départ pour le tunnel, Dora, janvier 1945. |
![]() On
emporte un camarade qui s'est écroulé pendant
l'appel,
Dora, décembre 1944. |
![]() Le camion quotidien de cadavres venant du commando d'Elrich est déchargé près du crématoire, Dora, mars 1945. |
![]() Le crématoire, le lendemain du bombardement, Buchenwald, 25 août 1944. |
![]() Le transport de Dora à Bergen-Belsen : cinq jours et quatre nuits dans la pluie et le froid. Nous étions cent par wagon, sans toit, sans nourriture, sans eau et presque sans vêtements, Avril 1945. |
![]() Sur le bord de la route : un camarade mort pendant le trajet de la gare au camp, Bergen-Belsen,
avril 1945.
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Les dessins de David Olère constituent un témoignage exceptionnel. L'artiste fut, en effet, membre du Sonderkommando chargé de brûler les cadavres au sortir de la chambre à gaz. Ses dessins constituent un témoignage essentiel, vérifié par le plan des lieux.
David Olère, Départ
au travail, 1946
Mais l'artiste, après la guerre, fit des toiles où l'interprétation se faisait plus forte, plus stylisée, tout en restant proche du vécu de l'artiste, comme dans ces toiles :
David Olère, Inaptes
au travail, sans date.
David Olère, Gazage,
sans date, après 1945.
David Olère, Leurs
derniers pas, après
1945.
David Olère est né à Varsovie, le 19 janvier 1902. Il est juif. Dès 1918, à l'âge de 16 ans, il expose des gravures sur bois à Dantzig et à Berlin. Il est employé, en 1921, par l'Europäische Film Allianz, comme peintre, sculpteur et décorateur. En 1923, il arrive à Paris où il travaille, toujours dans le cinéma, en particulier pour Paramount. Il se marie en 1930 et a un fils. En 1937, il déménage à Noisy-le-grand, dans la banlieue parisienne.
Il est arrêté par le police française, le 20 février 1943, interné à Drancy, puis déporté vers Auschwitz le 2 mars, dans le convoi n°49. Il est sélectionné pour le travail et commence par être terrassier. Puis, il est désigné pour faire partie du Sonderkommando, au Crématoire III de Birkenau où il transporte et brûle les corps au sortir de la chambre à gaz. En 1945, il survit à la "Marche de la Mort" et est envoyé à Buchenwald, puis au camp de Melk, puis à Ebensee où il est libéré par l'armée américaine.
Il meurt à Paris, le 21 août 1985, assez désespéré par la montée du négationnisme.
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![]() Serge Smulevic, quelques
semaines
après sa libération, en 1945.
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Plus tard, il produira des caricatures acerbes, pendant le procès Papon.
Voir l'ensemble des dessins de Serge Smulevic ou lire sa biographie.
Isaac Celnikier est né en 1923 dans une famille juive de Varsovie.
Il est confié de 1934 à 1938 à l’orphelinat du Docteur Korczak qui encourage son talent artistique. En novembre 1939, il se réfugie à Bialystok avec sa mère et sa sœur. Il « travaille » à l’atelier de copies de grands maîtres de la peinture pour les Allemands.
Déporté en 1943, il subit les camps de Stutthof, d'Auschwitz-Birkenau et de d'Auschwitz-Monowitz.
Puis, au moment de l'avance des Soviétiques, les transports de la mort le conduisent aux camps de Sachsenhausen et de Flossenburg.
En avril 1945, lors d’un bombardement américain, un Allemand lui tire une balle dans la jambe. Il se réfugie dans un camion d’agonisants. Trois jours plus tard, les Américains le trouvent vivant parmi les cadavres…
Sa captivité continue au camp soviétique de Sumperk d’où il s’évade pour se réfugier à Prague.
De 1946 à 1952, il suit les cours d’Emile Filla, l’un des principaux représentants du cubisme tchèque. C’est dans cet espace de liberté que commence son œuvre avec « Et vous dites que Dieu est absent ! » ou L’homme à l’étoile.
Il s’installe en France en 1957. Il n’a jamais cessé de peindre et de témoigner sur la Shoah en employant toutes les techniques et en particulier la gravure. Son travail ne raconte pas seulement l’extermination des Juifs d’Europe par les Allemands nazis : le thème du nu, le portrait, la nature morte et le paysage sont des genres qu’il pratique aussi abondamment dès les années cinquante.
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Birkenau,
fragments |
À l’occasion du 60e anniversaire de la libération d’Auschwitz Birkenau, en 2005, le Musée National de Cracovie, en collaboration avec l’Institut français à Cracovie, lui consacre une rétrospective avec 320 oeuvres.
Miklos Bokor est un artiste d’origine hongroise installé en France.
Arrêté à 17 ans en 1944 à Budapest, il fut déporté à Auschwitz où la plupart des membres de sa famille furent gazés, avant d’être transféré à Buchenwald et de camp en camp avant d’être libéré en 1945 à Theresienstadt.
Il a présenté, en octobre 2000, ses fresques peintes sur les murs de l’église de Maraden, près du village de Martel (Lot), qu’il a acquise quelques années auparavant. Bokor a fait restaurer la nef romane de l’église, rétabli la voûte et renforcé les murs avant de peindre ses fresques qui couvrent les quatre murs de l’édifice jusqu’au niveau de la corniche. L’ensemble dégage une impression de simplicité dans l’utilisation des couleurs et de violence dans le mouvement avec des foules compactes, de nombreuses silhouettes. Bokor a appelé son œuvre «La Spirale de l’Histoire» en construisant une énorme scène aux accents macabres, probablement en s’inspirant des événements tragiques qui le frappèrent durant la Seconde Guerre Mondiale.
Son oeuvre se situe entre abstraction et figuration. Son travail est un hymne à l’homme ou à la mémoire.
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![]() Miklos
Bokor, Paysage
nocturne,
éboulis, 1987.
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